La journée du Labex Agro a eu lieu le 6 octobre 2022. Elle a rassemblé 77 participants (dont les intervenants) en présentiel dans l’amphi Louis Malassis d’Agropolis International.
La thématique de la journée portait sur l’agroécologie à travers le monde : quelles questions posées à la recherche.
Vous pouvez télécharger l’intégralité du compte-rendu disponible sur cette page ici :
Les présentations des intervenants sont disponibles sur cette page en format pdf.
Marie-Christine Cormier-Salem, directrice d’Agropolis Fondation, a introduit cette journée en remerciant les membres du Conseil scientifique pour leur présence et leur participation. En revenant sur le thème de l’agroécologie, central dans la stratégie de la Fondation, elle a rappelé sa difficile mise en application sur le terrain. Plusieurs raisons sont évoquées : les controverses politiques et scientifiques, liées aux diverses définitions et voies de mise en œuvre, la nécessité de concilier plusieurs objectifs du développement durable dans un contexte international d’urgence et de crises systémiques (guerre en Ukraine, augmentation de la précarité alimentaire, dérèglements climatiques, accélération de la dégradation de la biodiversité, etc.). Pour la Fondation, l’organisation de cette journée est un moyen d’interroger le positionnement de la communauté scientifique AGRO dans cette interface science, politique et société. En proposant des retours d’expérience à travers le monde, le but est de favoriser le dialogue entre les acteurs et les contextes, du global au local et d’explorer l’agroécologie à travers les trois missions de la Fondation : comprendre, former, agir (recherche, formation et innovation). Mieux connecter les enjeux scientifiques avec les impératifs politiques et sociétaux permettra, comme l’a illustré l’événement organisé par la Global Alliance for the Future of Food à Montpellier en septembre, de concevoir ensemble des solutions durables, justes et désirables et de diversifier nos partenaires, y compris financiers.
Camille Clément, chargée de mission scientifique à Agropolis Fondation, a ensuite pris la parole pour présenter le déroulé de la journée, organisée en cinq sessions (une introductive et quatre géographiques) et une table-ronde.
La Plateforme partenariale transformatrice de l’agroécologie (TPP)
Philippe Petithuguenin, Directeur général délégué à la recherche et la stratégie du Cirad
Paysage de connaissances décrivant les effets des pratiques agricoles sur la biodiversité : le projet Agri-TE
Jonathan Bonfanti, post-doctorant, UR HortSys, Cirad
Quand l’agroécologie transforme la formation agronomique
Stéphane de Tourdonnet, Professeur d’agronomie et agroécologie à l’Institut-Agro Montpellier
DISCUSSION SESSION 1
Questions et remarques à Jonathan Bonfanti
Ludovic Temple (Cirad, UMR Innovation) : ne serait-il pas plus pertinent de parler d’écosociosystèmes plutôt que de paysages ? L’étude prend-elle en compte les différences entre le nombre d’études produites au Nord et au Sud ainsi que le contexte social ?
Réponse : le terme de paysage a été préféré car c’est celui qui est le plus souvent utilisé dans la littérature. Le constat est qu’il y a plus d’études dans des terrains Nord que Sud, mais l’étude vise surtout à faire une analyse systémique de l’existant : il ne peut donc refléter que ce qui existe.
Questions et remarques à Stéphane de Tourdonnet
Sophia Alami (Cirad, UMR AGAP) : Comment enseigner des connaissances non stabilisées et l’étude des trade-offs ?
Réponse : Il faut arriver à faire discuter des acteurs qui ne sont pas d’accord et enseigner l’art des compromis (ce qui n’est pas nouveau). Il y a quand-même tout un champ à investiguer qui est complexe.
Océane Trevennec (chargée de mission scientifique à Agropolis Fondation) : et qu’en est-il du Mémento de l’agroécologie ?
Réponse : C’est tout à fait en lien avec la première question sur les connaissances non stabilisées. Construire ce nouveau mémento a fait l’objet de débats au sein de l’équipe sur ce qu’il fallait faire pour combiner des formes de connaissances différentes et outiller les acteurs de terrain. Le memento est en bonne voie et devrait être publié d’ici 2 ans, c’est un gros travail de fond.
Animateur : Marco Wopereis, directeur général du Centre mondial des légumes (World Vegetable Center) basé à Taiwan, membre du Conseil scientifique d’Agropolis Fondation
Renouveler les compétences et élargir les capacités de formation pour le développement agricole durable en Asie du Sud-Est
Didier Pillot, ancien professeur d’agronomie à SupAgro
Le projet ASSET Agroecology and safe food system transitions – Production de connaissances et diffusion pour soutenir la transition agrécologique en Asie du Sud-Est
Mélanie Blanchard (Cirad, UMR Selmet) et Dominique Violas (GRET)
DISCUSSION SESSION 2
Marco Wopereis
Révolutionner les modèles de formation ça semble ambitieux, ça peut faire peur mais c’est nécessaire. Il faudrait que Didier Pillot et le projet ASSET travaillent ensemble.
Questions à Didier Pillot : comment s’assurer que les formations sont co-créées et ne pas imposer des idées ? Comment valoriser des idées qui existent, qui n’ont jamais disparu mais qui ont été oubliées ?
Réponse : L’enjeu est de passer d’un enseignement descendant à des compétences co-élaborées. Les institutions y sont très résistantes. À l’Institut-Agro, ils sont arrivés à faire des choses mais plutôt avec des « marginaux » (enseignant-chercheur en marge des institutions) en espérant que, dans le temps, ces pratiques puissent s’institutionnaliser. La stratégie retenue, notamment en collaborant avec le Searca, est de passer directement à des collaborations régionales, en dépassant l’échelle de l’université qui est souvent la plus réticente à opérer ces changements.
Questions à l’équipe ASSET : Le pas de temps d’un projet ne semble pas adapté pour tous les changements évoqués (changement des formations et agenda politique de l’ASEAN) ?
Réponse : ASSET est un projet de 5 ans, ce qui montre en effet que les ambitions sont fortes. Sur le volet politique, le but est de mettre l’agriculture à l’agenda. Un autre objectif d’ASSET est de changer les pratiques sur le terrain, cela semble plus atteignable. Enfin, sur le volet « formation », nous avons conscience que le projet ne pourra pas changer les programmes de la formation diplômante. Le but est, dans un premier temps, d’alimenter les formations existantes avec les résultats du projet et de travailler prioritairement avec les « marginaux » dont a parlé Didier.
Question de Gilles Béna (IRD, UMR PHIM) aux deux intervenants : Comment est-il possible de parler d’Asie du Sud-Est en mêlant des situations nationales très hétérogènes, notamment en termes d’adaptation ?
Réponse ASSET : l’ASEAN joue un rôle politique et économique très important en Asie du Sud-Est. Des décisions ou incitations qui auraient lieu à cette échelle engendreraient des changements importants à l’échelle locale. Le but dans ASSET est d’impliquer et d’intéresser l’ASEAN à l’agroécologie.
Question de Malyne Neang (chercheuse à l’Université Royale d’Agriculture du Cambodge) : en Asie du Sud-Est l’agroécologie n’est pas jugée moderne, n’est pas connue ou vulgarisée. Comment faire pour changer cela ? Il semble qu’il y aurait quelque chose à faire du côté du marketing. Cela pose aussi la question de l’acceptation sociale de l’agroécologie.
Réponse : en effet, dans les terrains étudiés par ASSET, les systèmes conventionnels sont très présents et l’agroécologie n’est pas moderne. Le principal frein c’est que l’agroécologie est complexe et il est toujours plus difficile d’expliquer des principes complexes.
Animateur : Bruno Romagny, directeur de recherche en économie à l’IRD – membre du Conseil scientifique d’Agropolis Fondation
Projet TAE Niger – Transition agroécologique Niger
Sophia Alami Tazi (Cirad, UMR AGAP) et Abdoul-Aziz Saïdou (IMAAN Research)
Mame Farma Ndiaye étant souffrante le 6 octobre, le projet FAIR Sahel n’a pas pu être présenté. Sa présentation a été remplacée par le témoignage de Mahamadou Sanoussi Hassane, président d’une organisation paysanne et membre du projet TAE Niger. Il a mis en avant l’implication des transformatrices et du secteur privé dans le projet TAE Niger qui, de ce fait, ne s’intéresse pas qu’à la production. Il a également insisté sur le besoin de gagner du temps et de mettre en synergie des projets qui, trop souvent, fonctionnent en parallèle.
DISCUSSION SESSION 3
Bruno Romagny
La gouvernance de ce type d’initiative (TAE Niger) mettant en synergies plusieurs projets est difficile à mettre en œuvre. S’assurer que le caractère co-construit des objectifs est présent à chaque étape semble être une difficulté supplémentaire. Comment cela se passe-t-il dans TAE Niger ? Quelles sont les formes de partage d’expérience (zones d’échanges) ? Autre question : comment gérer, dans de tels projets, l’hétérogénéité des participants et des membres des organisations paysannes ? Tous n’ont pas les mêmes capacités. Comment cela a-t-il été pris en compte dans TAE Niger ?
Réponse : L’objectif dans TAE Niger n’est pas forcément de co-construire à toutes les étapes mais plutôt de donner à voir. La diversité des acteurs et des situations est alors une richesse. En termes de gouvernance, l’objectif est de former les participants aux outils d’animation, afin de pouvoir donner la main à chacun et que celle-ci change souvent. Aujourd’hui, l’animation ne dépend plus de chercheurs du Cirad, les partenaires du projet maitrisent l’animation qui est tournante.
Concernant l’hétérogénéité des paysans c’est tout à fait vrai. Il y a 57 000 adhérents à l’organisation paysanne de Sanoussi, avec des producteurs, des agropasteurs, des pêcheurs et des transformateurs. Mais tous ont un droit de parole.
Ces approches co-construites et de mise en confiance sont possibles aujourd’hui parce que cela résulte de plus de 15 ans de collaborations entre paysans et chercheurs. Une vision commune de l’agroécologie a été construire et la solidité de ce qui avait été construit (notamment le projet Coex) a permis de maintenir les liens, même en l’absence de gros projets fédérateurs et malgré la crise sanitaire mondiale.
Question de Malyne Neang (chercheuse à l’Université Royale d’Agriculture du Cambodge) : En Asie du Sud-Est, notamment au Cambodge, le problème de ce genre d’initiative est le complexe d’infériorité présent chez les paysans qui n’osent pas prendre la parole. Comment arriver à leur faire comprendre que leur avis compte ?
Réponse : M. Sanoussi répond que son organisation paysanne est composée à 63 % de femmes et a une équipe de 15 salariés qui accompagne techniquement les paysans et qui les forme. Ainsi, il ne ressent pas vraiment ce complexe d’infériorité. Les partenariats sont anciens et la confiance est établie.
Question de Paule Moustier (Cirad, UMR MOISA) : En quoi l’agroécologie permet-elle de produire des denrées plus facilement valorisables (par exemple des légumes qui se conservent plus longtemps) et quels sont les types de production étudiés ?
Réponse : Les productions étudiées sont principalement le riz, l’arachide et le mil. Concernant la transformation, le problème principal vient de la qualité des produits. Des questions se posent aujourd’hui sur leur labellisation. De nouvelles voies de transformation des gousses sont explorées afin de valoriser la diversité des variétés.
Question de Stéphane de Tourdonnet : le projet TAE Niger semble être une réussite, quels sont les moments où il y a eu des problèmes, des controverses, des enjeux de pouvoir ?
Réponse : Le problème principal rencontré est celui du temps à consacrer à ce projet qui a ce statut d’inter-projets. La peur principale est celle de l’essoufflement qui, le plus souvent, vient des chercheurs avant les organisations paysannes. Parfois, il y a eu des réunions avec quasiment personne mais on les a quand même maintenues et on a partagé l’information sur ce qui avait été dit, l’effet d’entrainement a ainsi été maintenu.
Animateur : Silvia Restrepo, vice-présidente de la recherche et la création, université des Andes, membre du Conseil scientifique d’Agropolis Fondation
Quand les filières agro-industrielles adoptent un discours de verdissement
Ludivine Eloy (CNRS, UMR Art-Dev)
Refloramaz : une évaluation collaborative des processus de restauration forestière par les agriculteurs familiaux
Emilie Coudel (Cirad, UMR SENS)
DISCUSSION SESSION 4
Silvia Restrepo
Depuis le début de la journée, de nombreux débats ont lieu sur la co-construction de formations. Dans le projet Refloramaz, il y a eu une implication de lycéens : est-ce une bonne solution ? Au Brésil, l’agroécologie est très politisée à gauche, comment faire pour diffuser ces pratiques au-delà du clivage gauche/droite ? Enfin, le focus de cette session étant sur le rôle de la recherche, quelles questions sont posées à la recherche sur vos terrains ?
Réponse : Sur l’implication des lycéens, plus on est sensibilisé jeune aux impacts des activités sur la nature, plus on a envie de la protéger. Commencer par les jeunes a permis de toucher les familles. Dans Refloramaz, ce lien a été facilité par l’engagement d’une enseignante en biologie. Les lycéens ont découvert ce que faisaient leurs parents, ce qui a permis de revaloriser le rural là où la ville est objet de fascination. L’impact de la recherche semble plus fort quand des lycéens sont impliqués. Autre élément : les jeunes qui travaillent dans les grandes exploitations et veulent faire des études d’agronomie n’ont pas accès à des formations en agroécologie, à part de manière isolée et dans des écoles privées.
Sur les questions posées à la recherche, ce n’est pas une évidence localement et il faut plutôt accompagner la formulation de questions de recherche avec les acteurs locaux : contamination aux pesticides, insécurité foncière… Ce qui est important, c’est de construire une confiance et une légitimité de la recherche au niveau local. Il se construit des réseaux qui dépassent les territoires locaux.
Question de Stéphane de Tourdonnet : comment dépolitiser, et faut-il dépolitiser l’agroécologie au Brésil, notamment en parlant d’intensification écologique ?
Réponse : Au Brésil, la question de la politisation de l’agroécologie ne se pose pas, elle est politisée et politisée très à gauche. Emilie Coudel témoigne que, depuis 2004 elle travaille au Brésil et elle a observé un clivage de plus en plus fort qui a participé à l’organisation de collectifs porteurs du mouvement agroécologique. Ludivine a montré que, du côté de l’agro-industrie, d’autres modèles sont promus, comme l’intensification écologique ; c’est peut-être de ce côté qu’il faut investiguer. Dans ce contexte, c’est la place du chercheur qui est interrogée : comment maintenir un dialogue sur le terrain, y compris avec les pro-Bolsonaro ?
Question de Philippe Petithuguenin : Est-ce que, dans ce contexte, passer par le jeu, et notamment le jeu de rôle, ne serait pas une bonne solution pour arriver à se mettre à la place de l’autre ?
Réponse : dans Refloramaz, il y a eu l’utilisation d’un jeu qui a, en effet, très bien fonctionné. Mais cela ne fonctionne pas partout. Dans le Para Gominas, les tensions sont telles (menaces de mort etc.) qu’il semble difficile de faire la même chose et qu’il vaut mieux discuter de manière séparée avec chaque communauté.
Animateur : Jacques Wery, enseignant-chercheur à l’Institut-Agro Montpellier, membre du Conseil scientifique d’Agropolis Fondation
La recherche sur les transitions agroécologique en Occitanie, focus sur OccitANum et l’approche Living Lab
Cécile Bruère (cheffe de projet OccitANum)
Co-construction des connaissances pour renforcer les complémentarités céréaliers–éleveurs–vignerons dans le Minervois
Marc Moraine (Inrae, UMR Innovation) et Kristel Moinet (BioCivam de l’Aude)
DISCUSSION SESSION 5
Jacques Wery
Depuis le début de la journée, on constate l’importance de l’engagement des acteurs dans ces projets et initiatives portant sur l’agroécologie, mais comment faire pour ne pas rater des acteurs importants et pour maintenir leur engagement dans ces projets ?
Réponse : dans OccitANum, il y a des opérateurs intermédiaires : les chambres d’agriculture. Il faut également s’appuyer sur des collectifs déjà existants comme les GIEE ou les GEPI. Enfin, il faut mettre de l’énergie dans cette mobilisation, y passer du temps et reconnaître le rôle de chacun en ne se limitant pas aux enjeux de propriété intellectuelle (PI). Une question se pose d’ailleurs sur la reconnaissance du rôle joué par ces acteurs sans que cela ne passe par la PI.
Dans Sagiterres, il y a une vraie plus-value de la recherche participative, car cela oblige à une grande proximité des chercheurs avec le terrain, la construction d’un vrai ancrage qui conduit à des changements de pratiques.
Jacques Wery
Côté recherche, comment arrive-t-on à impliquer de nouveaux chercheurs dans ces initiatives participatives ? Comment arriver à faire de l’interdisciplinarité ?
Réponse : dans Sagiterres la collaboration disciplinaire se limite pour l’instant à l’agronomie et la zootechnie, mais des contacts sont pris avec d’autres disciplines (géographie, droit, économie mais aussi biologie et écologie) et il faudrait attendre 3 ou 4 ans pour voir les potentiels résultats. Le noyau initial de partenaires se renforce peu à peu et cela ne se joue pas qu’à l’échelle d’un projet. Dans Sagiterres, c’est plutôt une grappe de projets et l’interdisciplinarité va se jouer à ce niveau avec des compétences et disciplines spécifiques qui seront mobilisées dans des petits projets (exemple sur le pâturage dans les vignes).
Dans OccitANum, les chercheurs sont difficiles à mobiliser (au-delà des UMR AGIR et ITAP) et le but est surtout de construire des communautés de travail.
Hélène Joly (Cirad, UMR AGAP) : il faut aller vers un changement de pratiques du côté des agriculteurs, mais également du côté des chercheurs et des organismes de recherche, pour que l’évaluation ne se fasse pas que sur la base des publications par exemple.
Questions de Mathieu Thomas (Cirad, UMR AGAP) : dans le cadre d’une grappe de projets, comment s’organiser sur la prise de décision et la gouvernance ? Quels indicateurs ont été pensés dans Sagiterres pour évaluer la participation et comment ont-ils été construits (avec ou sans les non-chercheurs) ?
Réponse : sur la gouvernance des grappes de projets, c’est vraiment la difficulté d’avoir une vision d’ensemble et de coordonner le tout. Mais on avance comme on peut et, dans Sagiterres, il y a le projet premier qui est structurant, puis des logiques de tiroirs. Sur la co-construction des indicateurs, certains ont été construits uniquement entre chercheurs, d’autres co-construits.
Animateur : Philippe Petithuguenin, directeur général délégué à la recherche et à la stratégie du Cirad
PARTICIPANTS :
• Isabelle Touzard, vice-présidente de Montpellier Méditerranée Métropole – déléguée à la Transition écologique et solidaire, biodiversité, énergie, agroécologie et alimentation, maire de Murviel-les-Montpellier
• Guy Faure, Senior Policy Officer à la Commission européenne, en charge de la recherche et de l’innovation (recherche en agriculture pour le développement)
• Kristel Moinet, BioCivam de l’Aude
• Cyrille Pacteau, paysan dans une ferme collective
DISCUSSIONS
Questions :
1) Quelles attentes et quelles frustrations générées par la recherche dans le domaine agroécologique ?
2) Comment la recherche peut-elle apporter des réponses à différentes échelles ?
3) Comment pourrait-on mieux faire ?
Isabelle Touzard
À Montpellier, il y a eu la mise en place d’une politique alimentaire et agroécologique avec l’accompagnement de la recherche. Cette politique croise plusieurs domaines de compétences : développement économique, planification urbaine, aménagement foncier, action sociale, gestion de l’eau… Il y a maintenant une équipe de 10 personnes dédiée à cette politique et sa communication. L’objectif n’était pas de faire un énième diagnostic, mais de passer très vite à l’action en travaillant directement avec les élus. La recherche a apporté des connaissances factuelles du terrain montpelliérain (par exemple, développement de l’agriculture d’entreprise) et a donné à voir ce qu’il se passe dans d’autres territoires (saine concurrence entre les métropoles). La chaire « alimentations du monde » a joué un rôle majeur, notamment en facilitant la création des assises de l’alimentation des villes. Mais le territoire apporte aussi des choses à la recherche. Par exemple, il est surprenant de voir que tous les chercheurs et les programmes ou projets étudiant le territoire de Montpellier ne se connaissent pas entre eux. La métropole peut aider à faire du lien.
En termes d’attentes, les élus voudraient savoir quelles actions ont quels effets : « un euro investi là, ça donne ça ». Pour répondre à cela, il faut forcément mobiliser plusieurs disciplines scientifiques et ne pas minimiser les attentes et les besoins en formations. Souvent, les élus se retrouvent dans des situations schizophrènes où il faudrait choisir entre deux priorités, par exemple, entre l’agriculture et l’écologie. L’espace est de plus en plus contraint avec de nombreuses obligations souvent difficiles à concilier. Dans ce contexte, la recherche peut aider en :
1) trouvant des solutions innovantes qui allient les deux, par exemple : s’appuyer sur certaines formes d’agriculture, comme l’agropastoralisme, pour faire de la compensation environnementale aux grandes infrastructures ;
2) participant à l’élaboration de plaidoyers pour que les règlementations évoluent et prennent en compte les contraintes locales.
Une autre question est celle de la pérennité des dispositifs innovants imaginés conjointement par les collectivités et la recherche. Dans la phase expérimentale, des fonds importants sont investis mais dans le temps, le dispositif peut continuer à coûter très cher sans que des fonds n’aient été pérennisés. C’est, par exemple, ce qu’il est arrivé avec la politique d’aide à l’installation d’agriculteurs.
Pour rendre possible tout cela, il faut apprendre à travailler avec la recherche en construisant une vision commune ce qui, selon les contextes, n’est pas toujours évident.
Dans ce qu’il serait possible de mieux faire, il semble important aujourd’hui de penser ensemble l’alimentation, l’agriculture et le foncier. Il faut protéger la terre agricole et faire évoluer le système alimentaire sous l’angle de la solidarité alimentaire. Il faudrait également mieux investir les enjeux de gouvernance et de démocratie alimentaires et penser des modélisations à l’échelle internationale. Enfin, dans les modalités de financement peut-être serait-il possible d’investiguer le financement basé sur la confiance. Quand un acteur ou un collectif a déjà démontré sa capacité à répondre aux enjeux et à bien travailler, pourquoi toujours lui imposer de passer par la case « appel à projets ». Il serait plus simple de lui assurer un financement de long terme.
Kristel Moinet
En matière d’agroécologie, cela fait des décennies que les agriculteurs et paysans expérimentent et discutent. Une attente importante est de légitimer ces pratiques qui ont longtemps été déconsidérées. Certaines hypothèses qui mobilisent les chercheurs comme, par exemple, l’impact négatif des engrais chimiques sur la vie des sols, ne sont plus un sujet pour ces agriculteurs : ils savent que c’est mauvais. Pour autant, il y a une reconnaissance de l’importance de la preuve scientifique pour confirmer et pour modifier les pratiques plus en profondeur. Par exemple, changer les formations de boulanger après avoir démontré la meilleure digestibilité de certaines variétés et, dans le même temps, montrer aux boulangers participant au projet que ce n’est pas l’ancienneté de la variété qui assure une meilleure digestibilité (mais plutôt la variété en elle-même).
Le lien avec la recherche doit s’établir dans le réel, dans le lien physique avec le chercheur. Trop souvent, on ne voit sur le terrain que les stagiaires ou les doctorants. Travailler directement avec les chercheurs permet de construire un lien de confiance en partageant des valeurs et des manières de travailler (participation, transparence). Cela pose la question de la neutralité de la recherche dans un monde qui a besoin de construire et de mettre en place de nouveaux modèles de société. Parfois, le lien est difficile à faire car le positionnement politique n’est pas bien compris.
Pour mieux construire cette compréhension mutuelle et ce lien de confiance entre chercheurs et non-chercheurs, penser des phases d’émergence semble être une bonne solution (c’est ce qui est proposé dans le programme CO3). Ainsi, les collectifs s’assurent de partager tout au long du projet du vocabulaire commun, des protocoles etc. Par exemple, dans le projet Bakery un glossaire a été créé et dans le projet Levain un mesureur de pousse a été pensé collectivement. Sur ce dernier point des difficultés ont émergé à propos de la PI et du brevetage de cette machine par l’Inrae alors qu’elle a été pensée pour pouvoir être fabriquée et utilisée par tous.
Plusieurs pistes pour mieux faire ont été évoquées :
En termes de financement, une chose à améliorer est de penser à indemniser, ou même rémunérer, les acteurs et notamment, les agriculteurs pour leur implication.
Impliquer les acteurs non-chercheurs lors de l’analyse des données et pas seulement à leur collecte ou même à la formulation des problèmes.
Privilégier le lien direct et la dimension humaine des projets (pas de visio par exemple).
En termes de propriété intellectuelle, pousser les instituts de recherche à penser le bien commun et à mieux mettre à disposition les résultats de la recherche.
Possibilité de mieux penser les projets jusqu’à l’alimentation et à l’implication des mangeurs.
Intégrer une dimension artistique aux projets de recherche qui peut devenir un médiateur entre chercheurs et non chercheurs (exemple de ce qui a été fait dans le projet Levain).
Cyrille Pacteau
Le problème principal rencontré par les agriculteurs dans leur collaboration avec la recherche c’est le temps. Dans une ferme collective, il y a plus de temps pour participer à des essais et aux échanges avec les chercheurs. L’important est l’insertion dans des réseaux qui collaborent eux-mêmes avec la recherche : Civam, GRAB, France paysanne ou projets comme Coex. Le bon point de départ c’est de s’assurer que les questions et la finalité de la recherche correspondent aux préoccupations de terrain. Si les questions ne sont pas construites avec les acteurs, les résultats ne seront pas compris et pas appropriés.
Concernant l’agroécologie, il est essentiel de préciser de quoi on parle et si cela inclut la fin d’une dépendance au gasoil, à la mécanisation, aux entreprises semencières etc. Pour cela, il y a besoin d’échanges et de travailler ensemble pour partager des savoirs et de moyens de travailler autrement. Dans ces échanges, de temps en temps, émerge une convergence sur un enjeu fort. C’est ce qu’il s’est passé avec des chercheurs de l’unité AGAP sur la volonté conjointe de défendre l’agrobiodiversité comme bien commun.
Aujourd’hui, les besoins ne sont pas tant dans les connaissances fines des systèmes de culture, mais plutôt dans la manière d’organiser et de pérenniser ces collectifs d’échanges. Il s’agit également de trouver des solutions pour pérenniser ces fermes collectives en se basant sur d’autres modèles économiques. La recherche peut également accompagner l’élaboration de plaidoyers pour faire évoluer les législations, notamment celle sur l’autonomie semencière.
En termes de financement et d’accès aux financements, il y a de nombreuses choses à faire, notamment permettre aux acteurs non-chercheurs d’être directement financés pour ce qu’ils sont (ne pas être obligé d’entrer dans des cases comme être prestataire).
Guy Faure
La définition et la mise en œuvre de la politique européenne de l’assiette à la ferme a mis évidence les nombreuses tensions présentes et exacerbées par les récentes crises (Covid, réforme de la PAC, guerre en Ukraine). Dans cette mise en œuvre, la recherche peut apporter des éclairages et des argumentaires (voire de plaidoyers). Au niveau de la DG des partenariats internationaux, l’appui à la recherche se matérialise essentiellement par le programme DESIRA qui promeut une recherche donnant une place importante à la participation, aux partenariats et aux liens avec les autorités politiques. Un atout de la place montpelliéraine est son expérience et sa capacité à travailler en partenariat et à identifier et étudier les innovations. L’enjeu serait de pouvoir témoigner et diffuser cette expérience. Une vraie difficulté rencontrée dans ces approches est la quasi impossibilité de combiner en même temps un point de vue holistique sur ces enjeux et une expertise pointue dans des domaines diverses. Par exemple, sur la question des biopesticides, il faut en même temps s’assurer qu’il n’y ait pas reproduction d’une dépendance économique et étudier leur efficacité sur le terrain. Une demande récurrente faite à la recherche est sa capacité à pouvoir outiller les politiques publiques notamment au niveau national. La recherche peut alimenter des plaidoyers, elle est capable de créer et de renseigner des indicateurs ou encore de modéliser des systèmes. Ces éléments peuvent permettre de répondre à des grandes questions que se posent les politiques comme : l’agroécologie peut-elle nourrir l’Afrique ? Ces approches, notamment en termes de modélisation, sont essentielles pour donner du crédit à l’agroécologie. Pour cela, il faut que des chercheurs s’engagent dans les débats politiques et donnent à voir ces modèles afin de contrer les autres visions qui ont encore de très nombreux défenseurs.
Marie-Christine Cormier-Salem, directrice d’Agropolis Fondation
En conclusion de cette journée, Marie-Christine Cormier-Salem a insisté sur le caractère riche et stimulant des débats qui ont autant porté sur les enjeux de partenariat et de formation que sur ceux de la recherche. Les défis agroécologiques se déplacent et portent aujourd’hui sur le décloisonnement des réseaux, sur une transformation profonde des contenus de formation et sur une « décolonisation » des approches. Tous les intervenants de cette journée ont montré l’importance du co-apprentissage et de la co-conception des solutions. La légitimité de pratiques anciennes, la démocratie participative, la représentativité de toutes les parties-prenantes au sein d’espaces de concertation ont également été discutées. Cette journée a illustré la richesse et l’engagement de notre communauté scientifique au service de l’agroécologie et le renforcement des capacités des acteurs aux plaidoyers scientifiques. Plus que jamais, dans ce contexte difficile, Marie-Christine a invité à sortir de sa zone de confort, à réinterroger ses pratiques et à défendre les valeurs de la Fondation.