Interview avec Jean-Luc Verdeil, chercheur HDR, responsable scientifique PHIV UMR Amélioration génétique des plantes méditerranéennes et tropicales (Agap), Cirad, et Christophe Goze Bac, directeur de recherches, directeur de la plateforme BioNanoNMRI, CNRS.
Le projet vise à développer des méthodologies d’IRM (imagerie par résonnance magnétique) et de résonnance magnétique nucléaire (RMN) pour l’étude des plantes en situation de stress. Notre constat de départ était qu’à Montpellier on trouvait de nombreuses équipes travaillant sur la réponse des plantes au stress hydrique dans le contexte du changement climatique, mais qu’aucune d’elles n’avait accès à des méthodes de visualisation de l’eau et de suivi dynamique de son transport. C’est précisément ce que permettent les technologies d’IRM, qui ouvrent la voie à la visualisation in vivo de l’eau dans les plantes. Face au constat des difficultés pour les physiologistes de la plante de s’approprier cette technique, nous avons souhaité la développer et la leur rendre accessible.
Le projet, très ambitieux, a analysé plusieurs types de stress : hydrique, salin et quelques stress biotiques. L’équipe de Christophe Goze Bac, en collaboration avec les équipes des végétalistes, a développé des outils sur-mesure adaptés aux plantes, car les outils existants étaient exclusivement destinés à la santé et la biologie animales : IRM horizontal, avec des antennes très volumineuses (adaptées à l’homme (IRM médical) ou à des souris (IRM animal)). Les plantes étudiées sont verticales, et toute petites. Pour l’Arabidopsis, des antennes de quelques millimètres ont été développées, pour le sorgho, elles font quelques centimètres…. Afin d’atteindre les différentes parties des plantes, des antennes clipsables ont été développées, c’est une prouesse technologique qui permet de s’adapter à la géométrie de la plante et être ainsi installées autour des tiges, des feuilles ou des racines. Une RMN portable pour aller dans les champs a été également mise au point dès le début du projet (thèse cofinancée par (le pôle NUMEV, le CIRAD et Aplim). Cet équipement donne accès aux quantités d’eau et à la mesure des flux d’eau dans les plantes en serre et aux champs, de façon non invasive.
Un autre enjeu important était celui du maintien des plantes à l’intérieur des équipements dans de bonnes conditions environnementales. Pour cela, les équipes d’Agap, avec Jean-Luc Verdeil, ont développé des mini-serres avec des systèmes d’éclairage adaptés.
La collaboration entre les équipes du monde végétal et le laboratoire de physique de l’Université de Montpellier sur ce sujet était totalement nouvelle. Des chercheurs qui habituellement ne collaborent pas ont ainsi été amenés à travailler ensemble. Afin de faciliter cette collaboration entre disciplines très éloignées, des chercheurs de chaque partie ont été associés au projet dès le départ, et pour chaque action et grande ligne, un responsable issu du monde des plantes et du monde de la physique était associé. Pour faire le lien entre laboratoires, l’embauche de doctorants a aussi été déterminante. Au total, cinq thèses auront été produites au cours du projet, avec des allers-retours constants entre physique et sciences des plantes. Cela a demandé une grande ouverture d’esprit et la capacité à travailler en combinant les disciplines. Les étudiants ont vraiment joué le jeu et ont réussi à investir la discipline complémentaire de façon surprenante.
Le projet est un bel exemple de concertation et de pluridisciplinarité. Au départ, nous avons eu des difficultés à travailler ensemble entre disciplines très différentes… Des choses simples, comme la terminologie, constituaient des obstacles. Le mot « champ » n’a pas le même sens pour un agronome que pour un physicien… L’organisation de formations a été déterminante : plantes, physiologie de la plante pour les physiciens et IRM, principes de base pour les gens de la plante. Très vite, nous avons pu dépasser nos différences pour co-construire autour de questionnements biologiques.
Deux brevets ont été déposés (antennes/ développement homogénéité du champ magnétique ; Impression 3D, compatible avec champ magnétique).
Pour ce qui concerne les applications, les résultats les plus importants ont été obtenus sur le sorgho, la tomate, la vigne et le riz. Le projet a permis des avancées importantes sur la compréhension du rôle des tissus sur la gestion de l’eau. Chez le sorgho par exemple, nous avons pu mettre en évidence une relation directe entre les deux types de parenchymes (caractère pour lequel il existe une grande diversité) et la capacité des cellules à stocker de l’eau dans la tige et à la remobiliser en cas de déficit hydrique. La possibilité de mesurer des flux d’eau dans chaque faisceau conducteur a permis de prendre conscience de la complexité du système vasculaire de cette plante. Cela conduit à revoir la relation entre l’architecture du système vasculaire du sorgho et son fonctionnement, et pose de multiples questions. Sur la tomate, l’une de nos doctorantes, Jeanne Simon, de l’Inrae Avignon, a reçu le prix de la meilleure présentation orale au 11e symposium de l’ISH organisé en Finlande avec sa thèse sur une « Approche combinée de modélisation et d’IRM pour l’étude des flux d’eau et de carbone dans la tomate, en réponse à un stress hydrique et thermique ». Des images d’IRM du sodium obtenues grâce au développement d’antennes sodium adaptées ont pu pour la première fois être obtenues chez les plantes (riz et palmier dattier). L’IRM permettant de visualiser le circuit de l’eau devient un outil de choix pour étudier la dynamique des processus de désalinisation in situ.
Tout un volet du projet a porté sur la chimie des nanoparticules (partenariat avec le laboratoire Yannick Guari (Institut Carnot Chimie Balard Cirimat), pour tracer les flux d’eau dans la plante. Un post doc a travaillé sur Arabidopsis avec l’UMR BPMP sur cette thématique. Une étudiante thaïlandaise a fait une thèse sur caféier sur la conception de nanosondes qui puissent incorporer des molécules pour servir de cargos chez les plantes.
Le financement qui nous a été apporté nous a permis de travailler ensemble, dans des domaines totalement innovants. Il nous a aussi amené à chercher des cofinancements (seuls 50 % du financement nécessaire ont été apportés par Agropolis Fondation), des compétences qui nous ont permis de penser à la pérennisation du projet dès le départ.
Concrètement le projet va se pérenniser, avec la constitution d’une plateforme ouverte aux chercheurs des plantes au laboratoire Charles Coulomb. Nous avons communiqué au niveau de la région, (manipulations sur le chou avec des équipes de Toulouse), et avec le Sud. Les travaux sur la RMN portable seront poursuivis par une nouvelle thèse financée par L’IRD et MUSE pour travailler sur le Mil et le Sorgho directement aux champs avec nos partenaires au Sénégal.
Sur le plan institutionnel, APLIM a facilité l’entrée de l’UMR Agap dans Digitag, et peut ainsi désormais être éligible à leurs AAP.
Nous avons également essayé de mettre dans la boucle des entreprises intéressées. Notamment une PME locale qui souhaitait produire des enceintes climatiques. Si ce projet n’a pas abouti, un autre, avec un autre industriel local est en voie d’aboutissement, avec un contrat de collaboration signé avec l’université pour développer l’instrumentation (IRM vertical dédié aux plantes) et fiabiliser le système portable fonctionnel.
Enfin, en ce qui concerne la suite du projet, nous avons mobilisé de gros efforts sur le traitement d’image IRM des plantes (dans le cadre d’Aplim et de l’un de ses projets satellites (Vitimage). Nous disposerons ainsi en fin de projet, d’un outil convivial de traitement d’image en open source pour exploiter imagerie IRM chez les plantes (APLIMtoolset). Cet outil, encore en phase de test, devrait être prêt fin 2020-début 2021. Avec cet outil, nous pourrons toucher une communauté plus large encore au niveau international.