Entretien avec Nicolas Bricas, socio-économiste de l’alimentation, Cirad, UMR Moisa, Titulaire de la Chaire Unesco Alimentations du Monde
En quoi consiste le projet Foodscapes ?
Foodscapes vise à mieux comprendre les relations entre « paysages alimentaires » et « styles alimentaires ». Ainsi, notre environnement – la proximité ou non de commerces alimentaires, le type de commerce, l’accès à un jardin partagé, etc. – a des impacts sur nos comportements alimentaires. Jusqu’alors, lorsque l’on essayait de comprendre les déterminants des comportements alimentaires, on s’intéressait essentiellement aux caractéristiques des individus (âge, sexe, niveau de vie, etc.). Avec le projet Foodscapes, nous avons changé de perspective : on reconnaît que les individus font leurs choix alimentaires non seulement en fonction de qui ils sont, mais aussi en fonction de leur environnement. C’est une façon de reconnaître que l’offre ne répond pas seulement à la demande, elle la façonne. En facilitant l’accès à certains produits, on peut ainsi orienter les consommateurs vers des comportements alimentaires plus durables. Une opportunité très intéressante pour les décideurs politiques.
Le projet s’est essentiellement intéressé à Montpellier et son agglomération. Nous avons croisé des points de vue scientifiques et méthodologiques très différents : sociologiques, démographiques, nutritionnels, économiques. Nous sommes partis de la façon dont les gens se représentent leurs paysages alimentaires.
Parallèlement nous avons mené un travail de cartographie, afin de caractériser, quartier par quartier, la proximité, la densité et la diversité des commerces alimentaires. Deux études plus spécifiques ont été menées : l’une sur les effets de la pratique du jardinage en jardins partagés sur les comportements alimentaires ; l’autre sur la commande alimentaire par internet.
Enfin, nous avons mené une enquête par questionnaire auprès d’un échantillon représentatif de la population du grand Montpellier. Comment les consommateurs font-ils leurs courses ? Quels déplacements cela entraîne-t-il ? Qu’achètent-ils ? Nous avons analysé pour cela les tickets de caisse, qui permettront d’apprécier la qualité nutritionnelle et environnementale du régime alimentaire des personnes enquêtées et leurs déplacements pour les courses alimentaires. Cette recherche est une première en France.
Nous avons également mené une étude sur la variabilité des prix selon les quartiers, sur les effets des pratiques de proximité alimentaire (circuits courts, achats de produits locaux et jardinage) sur les connaissances agricoles et, en avril 2020, sur les changements des modes d’approvisionnement alimentaire pendant le confinement.
Quelle a été la valeur ajoutée du financement Agropolis Fondation ?
Le projet fait partie d’un programme plus vaste sur les systèmes alimentaires urbains durables (Programme Surfood) qu’Agropolis Fondation a permis d’initier. Ce programme comporte d’autres projets de recherche et de formation. Dans le cas de Surfood comme dans celui de Foodscapes, le financement d’Agropolis Fondation a permis de mobiliser et de fédérer un collectif pluridisciplinaire et pluri-institutionnel de chercheurs sur des sujets novateurs qui comportaient plusieurs risques scientifiques et méthodologiques.
Ce financement a également permis à la Chaire Unesco Alimentations du Monde, initiatrice et partenaire du programme Surfood et du projet Foodscapes, d’organiser des échanges réguliers avec les services de la Métropole de Montpellier et désormais avec d’autres villes françaises intéressées. La Chaire anime également avec la City University of London, un réseau européen de chercheurs et de grandes villes qui s’intéressent aux mêmes questions. Elle a organisé une présentation du projet aux villes du monde entier menant des politiques alimentaires, signataires du Pacte de Milan, qui se sont réunies à Montpellier en octobre 2019. Elle co-organise un colloque des sociétés françaises et britanniques de nutrition sur les politiques nutritionnelles urbaines qui permettra, début 2021, de mettre en discussion les résultats du projet.
Des villes africaines se sont aussi montrées intéressées. La pandémie de Covid 19 a décalé un rendez-vous prévu à Ouagadougou (Burkina Faso) au mois de mai 2020, où une discussion avec les maires de villes africaines du Pacte de Milan était prévue, notamment sur ce sujet.
Enfin, la formation constitue un des acquis très significatifs du projet. Et ce, de différentes manières : Au travers d’un module sur les politiques urbaines d’alimentation durable, des étudiants de deux Mastères Spécialisés, « Management des projets urbains durables » (MS MPUD de l’école d’architecture de Montpellier) et « Innovations et Politiques pour une Alimentation Durable » (MS Ipad de Montpellier Supagro et du Cirad) ont réalisé ensemble un diagnostic du paysage alimentaire de deux villes en périphérie de Montpellier (Murviel-lès-Montpellier et Fabrègues). L’année prochaine nous prévoyons un élargissement de ce partenariat au Mastère Spécialisé « Urbanisme et Santé » de l’école d’architecture de Montpellier et une ouverture du module à la formation continue.
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Nicolas Bricas, Chercheur, socio-économiste de l’alimentation, Cirad, UMR Moisa, Titulaire de la Chaire Unesco Alimentations du Monde